Sans rentrer dans des considérations purement scientifiques, il arrive fréquemment que certains d'entre nous imaginent une solution à un problème posé sur la base des conséquences potentielles et des dégâts ou gênes occasionnées en cas d'échec, en cas de pépin. Du coup, des stratégies entières sont échafaudées autour d'une résolution de problème, des dossiers complexes sont montés, imaginés, des groupes de travail construisent des raisonnements, des procédures qui, lorsqu'elles seront mises en place devraient, logiquement, résoudre ou éviter une fâcheuse situation. En gros, imaginer les conséquences d'une difficulté, d'un dysfonctionnement potentiel, entraine parfois la mise en route de projets de résolution dignes de la construction du canal de Panama. Des équipes entières sont employées à résoudre à l'avance l'émergence de toutes sortes de difficulté.
Vous avez alors des armées de cadres, de managers, d'opérationnels, de participants qui se regroupent régulièrement pour concevoir un plan d'action qui sera scrupuleusement suivi en cas d'impasse…
Seulement voilà, si l'importance des dégâts occasionnés par un hypothétique dysfonctionnement suscite l'émoi et provoque la mise en route de projets complexes, il n'en reste pas moins que ce dysfonctionnement est soumis à la loi des probabilités. Quel est vraiment le risque de voir arriver la catastrophe que l'on redoute ? Toute la question est là… Or, nous n'avons en tête que les conséquences probables, sans tenir compte d'un quelconque traitement statistique.
Cette approche est bien connue des aérodromphobes* qui n'ont à l'esprit que la conséquence du danger dans le fait de monter en avion plutôt que la probabilité dérisoire de voir se produire un incident à bord de l'engin… Leur stratégie consiste le plus souvent possible à ne jamais prendre l'avion !
En entreprise, les projets engagés relèvent souvent du même fonctionnement, il est très fréquent que l'on consacre des efforts gigantesques dans la résolution de problèmes potentiels dont la probabilité de se réaliser n'est pas connue, précise… voire quasi inexistante. Ce biais, d'abord cognitif et mis à jour par les travaux de Tversky , puis étendu au fameux principe de précaution, en entrainé trois grandes conséquences en entreprise :
1- Les budgets financiers sont alloués en fonction de l'importance ou de la valeur de l'enjeu, davantage qu'en fonction de leur probabilité de réalisation (pour faire simple, on dilapide les budgets pour résoudre les "au cas où…" plutôt que de construire "le jour où...").
2- Les équipes travaillent sur toutes sortes de scénarios improbables (positifs - les commerciaux en savent quelque chose- comme négatifs), on se fatigue à vouloir décrocher le billet de loterie à 1 million d'euros plus qu'à générer 10 gains à 100.000 euros (beaucoup plus probables à décrocher… non ?). Ce travail, souvent vain, entraîne démotivation, fatigue et désengagement.
3- La vision ou les objectifs de l'entreprise se diluent, perdent leur sens, leur intérêt et génèrent des flux formidables de résistances, de "oui mais…", de "à quoi bon…"provoquant du même coup l'émergence d'attitudes toxiques pour chacun d'entre nous.
Par conséquent, lorsque vous travaillez sur un projet de développement, d'optimisation dont les enjeux sont potentiellement importants pour l'entreprise, n'oubliez pas de traiter l'aspect purement statistique qui vous permettra du même coup de ménager votre énergie et vos moyens autour de projets qui "risquent" de voir le jour*.
*(dont j'ai fait partie - j'ai du reste suivi un stage en juillet 2000 chez Air France, stage au cours duquel l'on ne cessait de vanter l'absence de risque vu qu'un avion comme le Concorde parvenait à voler… Ce stage a eu lieu une quinzaine de jours avant que ce fameux Concorde ne s'écrase en région parisienne!)
*Ce billet est dédié à Olivier, directeur de projets chez un grand opérateur de téléphonie mobile et internet.
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