Comme tout le monde, j’ai ressenti du dégoût pour les méthodes de recrutement présentées dans le documentaire « la gueule de l’emploi ». L’écho a été considérable, les critiques acerbes, envolées lyriques, dénonciations, menaces cachées sont nombreuses vis à vis des quatre ou cinq protagonistes.
Vous l’avez constaté, je ne me livre jamais à la critique des recruteurs, ce n’est pas mon propos, certains sont excellents, d’autres sont nuls. Manifestement, ceux qui nous ont été présentés sont mauvais, s’attachant à déstabiliser, violenter pour construire leur sélection sur une élimination darwinienne insupportable, inexcusable. Pour autant, je suis très gêné par la « bonne foi » qu’ils ont affichée en acceptant la diffusion du documentaire… Ils pensent bien faire, ils pensent défendre la justice, la non discrimination, l’éthique même… Et c’est là que ça cloche. Ils pensent bien faire, comme nous tous, comme une majorité de recruteurs aussi…
Tout est choquant, l’inquisition, les questions sournoises, les commentaires humiliants.. mais aussi la confrontation des candidats aux autres, largement répandue dans les cabinets les plus honorables, y compris chez ceux qui ont dénoncé les méthodes présentées dans le documentaire.
Entre nous, je suis perturbé par un autre point. Je suis gêné par les nombreuses critiques (et offusquées) de cabinets de recrutement qui semblent découvrir de telles pratiques. Mais ne parlez vous jamais aux candidats qui poussent les portes de vos bureaux ? N’avez vous pas de famille ou d’amis ou de voisins, des gens normaux qui vous racontent ces histoires épouvantables de personnes broyées, perdues dans un système profondément violent et destructeur ? Ne connaissez vous pas de « seniors » à qui, insidieusement, on fait comprendre qu’il ne tiendra pas le rythme ? Ne connaissez vous pas de « juniors » que l’on recrute uniquement en free lance (toutes les charges pour leur pomme) ? Et vous même, n’avez-vous jamais recruté de stagiaires chargés de sélectionner les candidats, êtes-vous si éloignés de ces méthodes? Pensiez-vous sérieusement que tout cela n’était qu’invention de candidats en mal d’emploi ?
Comme vous, j’ai vu une caricature de la posture commerciale, une méconnaissance absolue, ultime de cette fonction. Le temps des requins est révolu…
Ce qui me saute aux yeux, ce n’est pas la parodie clownesque et tragique d’un recrutement de commerciaux, mais c’est plutôt l’incompétence professionnelle du «comité des sages», des "grands électeurs"… ces personnes ont tout faux, sans le savoir… sans le savoir… savoir….
Et bien justement, ce savoir, où est-il ? Existe il un certificat d’aptitude au recrutement? Un diplôme d’Etat du recrutement dans lequel les savoirs sociologiques, psychologiques, économiques, financiers, juridiques, linguistiques, cultures d’entreprises, sociaux, enjeux commerciaux (ben oui, faut bien aller chercher les clients), humains, éthiques, cognitifs seraient validés par une instance honorable et savante ? Est-ce idiot de demander la légitimité du recruteur à manier aussi dangereusement le destin de personnes fragilisées ? Une multitude de professions ont crédibilisé leur approche en formant leurs experts… Où sont les formations reconnues par la profession du recrutement ?
Je ne fais pas l’apologie du diplôme, loin de là (ceux qui connaissent mon parcours comprendront pourquoi !) mais lorsque les dérives sont aussi nombreuses, une profession doit construire sa crédibilité en apportant des réponses concrètes à la fois aux entreprises clientes et aux candidats. L’approche réseau est intéressante, certes, elle ne fait pourtant pas le poids face à une véritable expertise, reconnue par tous.
Enfin, lorsque la première crainte des français est de perdre son emploi et de se trouver au chômage, je me dis que tous ceux qui ont une fonction RH sont aussi en première ligne, ils sont d’une certaine façon les garants du bien (non pardon) du mieux-être des demandeurs d’emploi et donc de nous tous. Leur responsabilité est bien supérieure au champ d’intervention purement contractuel, on attend tous de la hauteur de la part d’une catégorie professionnelle aussi exposée aux maux de notre société.
PS : un merci très sincère à Franck de m'avoir interpelé avec beaucoup d'honnêteté sur ce sujet.
PS2 : un site internet appelle au "lynchage" des protagonistes (leurs adresses personnelles étant publiées) : cette initiative me fait vomir et me choque infiniment plus que les méthodes dénoncées plus haut - c'est peu dire.
Bonjour Pierre, merci pour ce commentaire plein de sens, je te rejoins totalement sur la nécessité de mettre de l'ordre dans une profession décriée où n'importe qui se déclare consultant en recrutement. A l'image des coachs certifiés, cette branche doit se regarder dans le miroir avant de se faire dévorer tout cru par les job boards ou réseaux sociaux de tout poil.
RépondreSupprimerPierre, un immense merci pour ce texte d'une grande intelligence, qui est, pour l'instant, le seul que j'ai vu sur ce sujet à essayer de poser les vraies questions, plutôt que juste hurler avec les loups. (je note d'ailleurs que le cabinet mis en cause dans le documentaire, fait partie de l'association A compétence égale, ce qui témoigne bien s'il le fallait, de sa probable bonne foi)
RépondreSupprimerCe qu'il manque à la plupart des recruteurs et managers d'aujourd'hui, ce sont des compétences psycho-sociologiques plus en rapport à la complexité des enjeux, c'est la conscience de la très grande fragilité (et de l'imperfection) de la personne humaine, et des dérives que le pouvoir et la rationalisation à l'extrême peuvent provoquer... même sans le vouloir.
Merci.
bonjour Pierre,
RépondreSupprimerun grand merci de m'avoir cité. Comme je l'ai twitté, je trouve ton billet plein d'intelligence et d'humanité, comme à chaque fois.
Pierre,
RépondreSupprimerJe suis sur la même longueur d'onde que toi...cette levée de boucliers est aussi violente que le contenu de l'émission...aller jusqu'à publier les noms et adresses, cela ressemble aux pires heures de la fin de la 2nde guerre mondiale.
Comme tu l'as vu dans mon tweet de ce matin, j'étais aussi excédé que toi...le cabinet de recrutement est fautif mais fait office de bouc émissaire pour une profession qui doit se regarder dans le miroir.
Bravo pour ce billet plein d'humanité qui m'a touché.
Laurent
Bonjour Pierre,
RépondreSupprimerJe rebondis sur le fait que ces 5 personnes ont des pratiques épouvantables sans le savoir. Il y a un moment où ils se concertent suite au départ de l'un des candidats, et tombent sincèrement des nues, avec des conclusions du type "c'est quand même incroyable, il y a des gens qui ne veulent pas travailler".
Il arrive qu'on se fasse embrigader (autant par les autres que par soi-même) dans des façons de faire non éthiques, inhumaines, voire même à la limite de la légalité, en toute bonne foi, et qu'un peu de temps et de prise de recul soient nécessaires pour prendre conscience de la réalité du problème et de ses conséquences.
Ne serait-ce que parce que nos convictions se forgent à partir d'idées reçues, de généralisations abusives, de conclusions hâtives, il est facile de rejeter systématiquement la faute, le tort, la responsabilité de l'échec sur autrui, à coups de conclusions aussi hâtives que péremptoires.
Cela nous ramène à la nécessité absolue, lorsque l'on est un prestataire (recruteur ou autre), qui travaille sur de l'humain, de questionner sans cesse ses propres pratiques, de réfléchir aux bénéfices, certes, mais aussi aux conséquences possibles de tout ce qu'on propose. Bref, de faire preuve d'un peu de bon sens, d'un peu d'humanité, d'un peu de jugement, tout en gardant à l'esprit, pour citer Corinne Dangas "la très grande fragilité (et de l'imperfection) de la personne humaine"
A priori les coordonnées personnelles des recruteurs sont indiquées sur le site pour que les internautes qui le souhaitent aillent coller des flyers ou des affiches fournies par le site autour de leur domicile ou de leur travail.
RépondreSupprimerC'est du grand n'importe quoi.J'en suis sidéré
J'espère qu'une action en justice sera intentée pour mettre fin à ce type de méthode.
Jeter ces gens incompétents en pâture est tout aussi condamnable que ce que l'on a pu voir dans le documentaire.
Merci à tous pour vos commentaires riches, pertinents et qui amplifient tellement ma contribution. Je suis flatté par vos encouragements, j'espère que toutes ces idées se transformeront en actes. Je vous remercie infiniment, à très bientôt.
RépondreSupprimerPierre
Bravo Pierre, ton analyse pertinente donne à réfléchir sur nos pratiques. Toutefois, je note que les recruteurs sont otages d'un système qui les broient aussi sûrement que les candidats qu'ils rencontrent. Cela ne les dédouanent pas de comportements inadaptés. Il me paraitrait essentiel et utile de réfléchir à la manière de résister voire construire un système qui humanise au lieu d'anonymiser. J'insiste, le système détruit s'il n'a pas l'homme en son cœur. Bonne réflexion.
RépondreSupprimerBonjour pierre, encore un billet empli d'intelligence et de bon sens, je suis stupéfaite par la sensibilité exprimée dans ton texte. Ta proposition tombe sous le sens, elle est tellement évidente que personne n'avait réellement posé la question en ces termes. J'espère sincèrement que les assises du recrutement proposées sur le site de Alain Gavand , auront l'intelligence de t'écouter et de te faire participer, car tu représentes dignement toute une partie de la population en recherche d'emploi. Nous verrons si nos politiques s'emparent du sujet, ils auraient tort de le délaisser. Isabelle
RépondreSupprimerBonjour, j'apprécie votre analyse et je suis pour l'expression de points de vues différents, néanmoins permettez-moi de préciser qu'à aucun moment mon intention n'a été d'appeler au "lynchage".
RépondreSupprimerJe souhaitais juste déplacer le débat, qui a tendance à se confiner à Internet, dans la vraie vie, pour faire réagir.
Une discussion franche en face à face je n'appelle pas cela du lynchage. Peut être faut-il nuancer les choses, nos échanges de plus en plus dématérialisés font apparaître tout échange réel comme plus violent alors que ce n'est pas forcément le cas.
Voilà, si mon initiative a été perçue comme un appel au lynchage, un appel aux représailles, j'en suis désolé. Malgré tout je suis content du débat que ça a pu susciter, tout du moins ça a amplifié le débat naissant.
J'ai beaucoup aimé ce documentaire/film qu'est LA GUEULE DE L'EMPLOI. Tout l'apport de ce film était de mettre en évidence les pratiques du recrutement actuelles! Certains nombreux se disent choqués/outrés de telles méthodes.Premièrement,je dirais que s'agissant d'une compagnie d'assurance,ce n'est pas très surprenant pour un poste de "commercial de base"! Cequi m'a surpris plutot c'est le temps consacré à ce recrutement:cela ne montre t il pas que le GAN a surement un fort turnover et donc veut limiter la casse en se trompant le moins possible ? Concernant le cabinet de recrutement,leur sélection s'est portée sur une tranche d'âge assez large(jusqu'à 49 ans,je crois,curieusement personne dans la 50taine ou bien ils ont été écarté volontairement...)c'est vrai que "l'animateur"a la répartie facile et a le don d'infantiliser/de rabrouer les candidats qui sont au départ du fait de leur situation en position d'infériorité. Effectivement, ce que montre bien le docu c'est le fossé qui est important entre des candidats qui sont exclus du marché du travail depuis un certain temps et qui perdent beaucoup de leur dynamisme du fait de cette situation et des recruteurs qui ont un profil de candidat idéal en tête (les fameux "juges")et qui ne vont pas en dévier! J'ai bien apprécié l'initiative de soymaleau de reprendre le doc sur son blog par ailleurs.
RépondreSupprimerDites vous aussi que le recrutement de groupe en face à face n'est pas de mise dans beaucoup de professions, donc le candidat peut rester indéfiniment sans avoir de contact avec un futur employeur! Là ils avaient une chance mais ou je rejoins beaucoup,les chances n'étaient pas les memes pour tous et cette méthode de rabrouer et de mettre en situation les candidats sans leur donner pratiquement aucune bille n'a peut etre pas grand rapport quand meme avec le poste proposé.