J'ai demandé à une personnalité du monde du recrutement, de l'entreprise, de la "blogosphère", de nous livrer un conseil, un sentiment, une réflexion autour du thème suivant : "Si je devais vous donner UN conseil pour améliorer votre efficacité dans la recherche d'emploi, ce serait celui-là...". Aujourd'hui, Monsieur Marc Halévy, conférencier et expert dans l'Art de piloter en environnement complexe et auteur (entre autres) de " l'âge de la connaissance" nous livre son point de vue :
Si je devais donner UN conseil pour améliorer votre efficacité dans la recherche d’emploi, ce serait celui-ci : ne cherchez pas un emploi, créez-le.
Refusez le salariat et la dépendance et la précarité et la soumission !
Devenez votre propre patron. Ni patron, ni salariés mais des talents, des compétences et des associés : voilà la devise de l'entreprise fructueuse de demain !
Au diable la soi-disant sécurité de l'emploi : il y a belle lurette qu'elle n'existe plus et la précarité - c'est-à-dire la mobilité professionnelle - est devenue la règle majeure. Il faut cesser de croire aux recettes de l'ère industrielle révolue. Un salarié n'est en définitive que le patron d'une petite entreprise virtuelle qui s'érige sur ses talents, ses compétences et son expérience, mais qui n'a qu'un seul client : son employeur. En stratégie d'entreprise, c'est la position la plus fragile. C'est cela la précarité. S'il n'est pas cela, un salarié n'est qu'un esclave consentant.
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Les "crises" que nous traversons, ne sont pas quelques turbulences en attendant un hypothétique retour au calme d'antan (la croissance, le plein emploi, l'abondance, la non pénurie en ressources naturelles, la non pollution, etc …). Aujourd'hui, même les "économistes" les plus récalcitrants approuvent et commentent ce que j'écris depuis vingt ans : depuis 1985, nous vivons un changement radical de logique économique qui se terminera, au mieux vers 2020 (dans une dizaine d'années, donc). Nous quittons la logique de l'industrialisation, de la massification, de la marchandisation, de la spéculation, de la financiarisation, de la surconsommation généralisées et nous entrons dans une autre logique économique : celle de l'économie de la connaissance et de l'immatériel qui est le contraire de la logique industrielle et salariale, du gigantisme et du productivisme, du management hiérarchique et de la procéduralisation standardisée.
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Faisons le point …
En 1971, pour libérer, "enfin", la planche à billet et financer ainsi cette guerre du Vietnam qui n'en finit pas et qui finira par prouver la faiblesse définitive du fort, Richard Nixon signe la déconnexion de la monnaie* et de l'or, c'est-à-dire de la finance et de l'économie : il crée, sans trop le savoir, l'économie virtuelle, l'économie de la promesse et du pari perpétuels, l'économie de l'endettement irresponsable, l'économie de la "cavalerie" et de l'infernale spirale de cette fuite en avant que l'on appelle "croissance".
La croissance de demain est censée financer l'endettement d'hier pour assurer la consommation d'aujourd'hui. Le trio infernal est en place.
Rien ni personne n'est à même - ni n'a le désir - de freiner cette circularité aussi accélérée et "magique" que vicieuse. Cette inflation vénéneuse doit inéluctablement aboutir à l'affrontement violent - et bien réel - entre les pénuries matérielles naturelles et les appétits consommatoires humains. Puisque ceux-ci (les appétits) sont irrépressibles et que celles-là (les pénuries) sont incontournables, la rupture globale et profonde - et délétère - est imparable. Le réel rattrape le virtuel et le remettra brutalement à sa place.
Quand ? Lorsque les "trésors de guerre" - réels ou spéculatifs** - des États et des grosses entreprises et industries seront épuisés, lorsque les monnaies ne pourront plus être artificiellement maintenues à un niveau de valeur suffisant pour soutenir les pouvoirs d'achat. Cela peut finir demain matin comme durer encore quelques années … mais ce serait reculer pour mieux … sombrer.
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La nouvelle logique économique mettra, sur le devant de la scène, des talents et compétences souvent d'une autre nature que ceux d'antan pour rencontrer cinq nouveaux défis fondamentaux.
Pour y faire face, je donne à tous cinq pistes simples et universelles qui peuvent être mises en application, dès demain, sans regrets ni remords, sans scrupules ni pitié.
Ces cinq axes d'action concernent le Métier, l'Intelligence, la Frugalité, les Réseaux et la Qualité.
Examinons-les successivement.
Métier :
D'abord, il est impérieux, pour chaque entreprise de bien savoir ce qu'est son métier. Et c'est moins évident qu'il n'y parait tant l'habitude néfaste a été prise de définir le métier d'une entreprise par les produits qu'elle conçoit, fabrique et/ou commercialise. Les produits sont les conséquences du métier, non son essence.
Il faut définir le métier non par les produits mais comme l'ensemble des savoir-faire différenciants producteur de haute valeur ajoutée. Ce travail d'identification sans équivoque du métier de l'entreprise, selon cette approche, est tout sauf trivial, mais il est impératif : comment survivre si l'on ne sait pas qui l'on est et ce que l'on peut réellement (bien) faire.
Une première conséquence de cette définition conduit à externaliser tout ce qui n'est pas le métier vers d'autres dont c'est le métier, car on fait toujours nettement moins bien que d'autres ce que l'on ne fait pas parfaitement.
Une deuxième conséquence : viser partout l'excellence dans son métier. Toute médiocrité doit être bannie, la perfection est seule garante de pérennité et de durabilité.
Une troisième : n'investir que dans et pour le métier car l'entreprise c'est son métier et rien que son métier, tout le reste est distraction, dévoiement, détournement. On diversifie les produits ou les modalités, mais on ne change pas de métier.
Intelligence
Aujourd'hui, la valeur tant des produits que des entreprises vient à 80% de l'intelligence que l'on y injecte : nous sommes entrer dans la société de la connaissance et dans l'économie de l'immatériel (cfr. déclaration de l'UE à Lisbonne en 2000). Il faut donc viser à engendrer partout de la valeur par les intelligences de la tête, du cœur et des mains. Il n'y a pas que l'intelligence technique des ingénieurs ou managers, il y a aussi l'intelligence émotionnelle, relationnelle, transactionnelle, l'intelligence imaginative et créative, l'intelligence pratique, comportementale, manuelle. Toutes ces formes d'intelligence constituent le seul vrai terreau de développement de l'entreprise. Tout le reste est ou bien conséquence, ou bien leurre, ou bien inutilité.
Les salaires sont devenus trop chers pour les gaspiller, aussi faut-il éliminer les sans talents (dont les tâches inintelligentes peuvent presque toujours être confiées à des ordinateurs ou des robots). Par contre, il faut, sans faute, recruter des talents forts : même s'ils coûtent plus, ils rapportent beaucoup plus. Une entreprise, c'est d'abord une aristocratie de talents, d'intelligences et de compétences. La vocation de l'entreprise n'est pas d'être "sociale" et de distribuer des rentes sécuritaires.
Plus généralement, en tout, il faut privilégier les patrimoines immatériels c'est-à-dire ces trésors de connaissances, de notoriété, de visibilité, de mémoire, d'enthousiasme, de passion, de santé, de force vive qui font l'entreprise. Car l'entreprise, c'est d'abord un processus en marche, une histoire qui se raconte, un projet/passion qui s'élabore et se partage profondément. C'est aussi une culture commune puissante qui engendre de l'intelligence collective, de l'esprit de corps, de la connivence active. Les valeurs d'une entreprise n'ont rien à voir avec la morale mais bien avec le style qui lui est propre. Ce style, c'est son âme.
Il faut parfois se rappeler de la bonne sagesse paysanne : on ne pas dépenser l'argent que l'on n'a pas. En nos temps de crédit rare et de risque aléatoire, il est temps de s'en souvenir et de rejeter toute forme de spéculation. L'entreprise doit être gérée "on the cash basis" : le seul tableau de bord qui vaille, c'est l'extrait quotidien du compte en banque. La gestion financière se réduit à la gestion de trésorerie ici et maintenant, sans projection, ni fantasme, ni spéculation : "J'ai ou je n'ai pas ! Si je n'ai pas, je gagne avant de dépenser". L'économie financière est morte : retour à l'économie réelle et à elle seule.
Il convient, en conséquence, d'éliminer tout ce qui n'est pas indispensable à la qualité dans et de l'entreprise : la qualité des matières, des procès et des produits, la qualité de vie au travail (le stress négatif induit une perte de 60% de la productivité et de l'efficience), la qualité des relations et des comportements, etc …
Apprendre, en tout, à faire beaucoup mieux avec beaucoup moins. Nous sommes définitivement entrer dans une logique de pénurie et de raréfaction de toutes les ressources, naturelles (énergie bon marché, eau douce, métaux, céréales, etc …) comme culturelles (compétences, courage, sens de l'effort et de la difficulté, etc …). Face à cette logique, une seule voie est possible : celle de la frugalité généralisée.
En tout, il est impératif de rechercher la plus grande simplicité et de bannir toute complication et tout encombrement. La seule bonne réponse à la complexité est la simplicité, mais il est extrêmement difficile d'être simple sans sombrer dans le simplisme ou la simplification. C'est quand tout est difficile qu'il faut se simplifier la vie. Revenir à ses axes directeurs : mon métier, mon style, ma joie. Tout le reste est superfétatoire.
Réseau
Le monde complexe qui est le nôtre exige une intelligence globale et une efficience locale : tous les cycles deviennent de plus en plus courts, tous les rythmes deviennent de plus en plus effrénés, tous les flux d'événements et d'informations deviennent de plus en plus submergeants et noyants. Pour répondre à ces déferlantes, il est indispensable de démanteler toutes les structures pyramidales, monolithiques et hiérarchiques car elles sont trop lourdes, trop lentes, trop rigides. Partout, il faut les remplacer par des réseaux d'entités autonomes de 50 collaborateurs (100 maximum), car il est vital de privilégier les circuits courts et les décisions rapides : pensez global (fédération), agissez local (délégation).
Il faut penser réseaux. Réseaux internes de petites entités autonomes, on l'a dit, fédérées par une projet fort et par une culture forte. Mais aussi réseaux externes de tous les partenariats d'externalisation, de mutualisation, de complémentarité, de sous-traitance. L'heure est aux réseaux, pourquoi ? Parce que les structures hiérarchiques sont mathématiquement les plus pauvres en relations d'efficience et que cette pauvreté est incompatible avec les exigences complexes et durables de l'économie ambiante.
Penser "réseaux", passe aussi par la nécessité de miser sur la confiance et l'intuition. La confiance réciproque est le système de gestion le moins cher et l'intuition le moteur d'action le plus rapide. Mais il ne s'agit pas de confiance ou d'intuition aveugles, infantiles, béates ; il s'agit plutôt de réapprendre à miser sur ses tripes et ses petites antennes, et à faire taire la raison castratrice. Résonner et raisonner ne sont pas contradictoires pourvu que la finalité soit claire.
Il est enfin impérieux de faire exploser les usines à gaz bureaucratiques. Celles des contrôles de gestion, des procédures formelles, des réunionites, des comités "machin" et groupes "bazar". Une entreprise est d'abord un tissu de projets clairs dotés d'objectifs et moyens clairs et d'un responsable clair. Et si un projet est trop gros pour être mené à bien par ajustement mutuel (direct, informel, quotidien) des participants, cassez-le en deux, en cinq, en mille.
Qualité
Notre époque vit la fin du "tout quantitatif" ; le qualitatif, en tout, reprend valeur au-delà des prix. Ainsi, le profit, s'il est indispensable à l'entreprise puisqu'il est le carburant qui la fait avancer, n'en est pas le but : ce n'est pas à l'essence de décider où va l'automobile.
Il faut apprendre à considérer le profit comme une conséquence naturelle et non comme un but obsessionnel. Faites très bien votre métier, activez toutes les formes d'intelligence, pratiquez toutes les frugalités, appuyez-vous sur tous les bons réseaux, et le profit sera là, naturellement.
La qualité des produits et des services est le seul véritable argument de vente. Il faut cesser de croire les pubards : la publicité n'a jamais rien fait vendre. La qualité, oui. Le bouche-à-oreille, oui. La notoriété, oui. Un très bon site Internet, oui.
Notre époque signe la fin des économies de masse, des marchés de masse, des média de masse, des produits de masse, de la communication de masse, de la distribution de masse. Il faut donc viser les niches à marges élevées et à petits volumes et délaisser les gros marchés à faible marge. Il est vrai qu'il est bien plus fatigant de gagner et de garder 100 petits clients qu'un seul gros, mais lorsque ce gros tombe en faillite ou dicte ses prix, on comprend notre malheur. En matière commerciale, un seul leitmotiv : en tout, promouvoir la qualité supérieure, pas les prix inférieurs.
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Comment conclure ? Par l'aphorisme d'Albert Einstein : "Un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu'il a été créé". Cela signifie que le problème de l'emploi, de la recherche et de la création d'emplois est un problème qui, aujourd'hui encore, a été créé par le déclin de l'économie industrielle qui est dépassée, marginalisée, périphérisée.
Chercher un emploi est absurde ; se créer des activités accomplissantes et lucratives est crucial ! C'est un tout autre regard … !
*Celle du Dollar américain, certes, mais donc celle de la monnaie hégémoniquement internationale dont le pouls signe la santé de l'économie mondiale (l'Euro n'existe, alors, pas encore et le Yuan n'est encore qu'anecdotique).
"se créer des activités accomplissantes (et lucratives) est crucial !" j'adore !
RépondreSupprimerOui le plus heureux n'est pas celui qui a obtenu le fameux CDI dont on parle si souvent...rappelez-vous I = indéterminé, dans un sens comme dans l'autre.
Ce n'est pas une garantie de travail jusqu'à la retraite. D'ailleurs pour certain un schéma comme celui-ci ressemble plus à une tombe ou à une condamnation qu'à une perspective d'avenir. depuis que j'ai 24 ans, je fuis ce genre d'emploi. N'avoir qu'une vie professionnelle, quelle tristesse (pour moi).
Essayer d'autres univers, d'autres postes, découvrir sans cesse, et surtout vivre selon ses centres d'intérêt, ses convictions je crois que ça ce sont des assurances contre les maladies, contre l'ennui...savoir que nous sommes maîtres de nos vies, responsables, décideurs. Voilà le vrai objectif. Ne jamais subir.
Il y a du bon là-dedans, et même du lumineux. Mais l'auteur se laisse emporter un peu loin. D'accord notre monde est en train de changer mais si cela se fait trop rapidement la casse sociale sera énorme et mettra en péril nos frêles démocraties. Je constate au quotidien combien Internet notamment accélère le temps. Résultat les choses changent de plus en plus vite dans le quotidien des salariés qui finissent par mal travailler dans des entreprises désorganisées.
RépondreSupprimerLa dimension humaine (dans ses limites) doit être prise en compte. Sinon il s'agit d'un discours réservé à une élite...